Commentaire de la continuité sublime – page 2

Commentaire de la continuité sublime – page 2

 

[Le joyau du Bouddha]

Ceux que conseille le Tathagata entrent [d’abord] dans son refuge. Confiants en l’ordre naturel des choses, ils vont ensuite dans le refuge du dharma et de la communauté. C’est pourquoi la première stance concerne le joyau du Bouddha :

4.
À celui qui, de lui-même, s’est éveillé à la bouddhéité paisible, sans début, ni milieu ni fin,
À celui qui, pleinement éveillé, montre la voie pérenne et indestructible afin que soit réalisé ce qui n’est pas réalisé,
Qui brandit le suprême diamant, l’épée de la connaissance et de la compassion, et tranche les pousses de la souffrance,
Au destructeur du mur des doutes que cerne la dense obscurité des opinions diverses,
À lui, je rends hommage.

Qu’est-il montré dans cette stance ?

5.
La bouddhéité est inconditionnée, spontanée,
Réalisée sans autres conditions,
Munie de connaissance, de compassion et de puissance,
Pourvue des deux bienfaits.

Ces vers décrivent brièvement la bouddhéité pourvue de ses huit qualités. Quelles sont-elles ?

1) Le non-conditionnement

2) La spontanéité

3) La claire réalisation, indépendante de conditions extérieures

4) La sagesse primordiale

5) La compassion

6) Les pouvoirs

7) La perfection du bien propre

8) La perfection du bien d’autrui

6.
Puisqu’elle est par nature sans commencement, ni milieu ni fin,
Elle est inconditionnée
Dotée de la sérénité du corps de réalité,
Elle est dite spontanée.

7.
Réalisée d’elle-même individuellement,
Elle ne l’est pas par des conditions autres.
Pénétrée de ces trois aspects1Non-conditionnée, spontanée, et réalisée individuellement par elle-même., elle est connaissance ;
Montrant la voie, elle est compassion.

8.
Elle est puissante, puisque sagesse primordiale et compassion
Eliminent souffrances et perturbations.
Les trois premiers points sont le bien propre,
Les trois derniers celui d’autrui.

1. On entendra « inconditionnée » comme l’opposé de « conditionnée », qui fait référence à ce pour quoi la naissance, la durée et la destruction sont connues. Dépourvue de ces [trois] aspects, la bouddhéité sans début, ni durée, ni fin, est inconditionnée et sera vue distinctement comme le corps de réalité.

2. Elle est spontanément présente car toutes les élaborations conceptuelles et les pensées discursives y sont apaisées.

3. L’état de Bouddha étant réalisé par la sagesse primordiale née d’elle-même, il ne l’est pas par des conditions autres. La « réalisation » est ici une « réalisation manifestée », et non une « [réalisation] produite ». Puisqu’il en est ainsi, malgré ses caractéristiques de non-conditionnement et de non-activité, le Tathagata est spontanément engagé jusqu’à la fin du cycle, sans efforts et sans interruption, dans tous les actes d’un bouddha.

4. 5 et 6. Le Bouddha, sans enseignant et sans en avoir entendu parler par autrui, s’est pleinement éveillé de lui-même à l’indicible nature, à l’inconcevable et merveilleuse sphère de la bouddhéité, au moyen de la sagesse née d’elle-même. Il a ensuite indiqué la voie de la réalisation afin que les aveugles coupés de la compréhension parviennent à son accomplissement. Ainsi possède-t-il la compassion et la sagesse insurpassables. Cette voie est celle de l’absence de peur car elle transcende le monde : étant au-delà du monde, elle est sans régression.

Les exemples de l’épée et du vajra montrent respectivement la capacité de la sagesse primordiale et de la compassion du Tathagata à détruire les racines de la souffrance et des perturbations d’autrui.

Les racines de la souffrance se résument à l’établissement des noms et des formes2C’est-à-dire les cinq agrégats, quatrième des douze liens de la coproduction conditionnée., selon les circonstances, dans les [trois mondes] d’existence.
Les racines des perturbations sont l’attachement à la collection périssable3Tout ce qui constitue « la personnalité ». Equivalent aux cinq agrégats. Il est ici question de la saisie d’un moi, d’un mien, d’une personnalité. L’attachement est le neuvième lien de la coproduction conditionnée, qui projette dans le devenir (10ème lien) et la naissance future (11ème). La vieillesse et la mort complète la série des douze liens., lequel précède le doute et les vues [fausses]. On comprendra qu’en raison de sa caractéristique de développement, la souffrance agrégée par les noms et les formes est telle une pousse, et que la sagesse primordiale et la compassion du Tathagata sont illustrées par l’exemple de l’épée car elles ont le pouvoir de trancher cette pousse.

Les perturbations dont il faut se défaire, accumulées par les vueset le doute, sont difficiles à connaître ou à pénétrer par une réalisation mondaine ; en voyant qu’elles ressemblent à un muraille couverte d’une épaisse végétation qu’il est nécessaire d’éradiquer, on comprendra que la sagesse et la compassion du Tathagata sont illustrées par l’exemple du vajra car elles ont le pouvoir de détruire ce mur.

En bref, les six qualités du Tathagata dont il est question ici seront connues séparément dans le détail, sous tous leurs aspects et dans l’ordre où elles sont présentées, d’après le Soutra de l’Ornement des apparences de la sagesse première qui pénètre les domaines de tous les bouddhas, qui déclare :

Manjushri, « sans naissance et sans cessation » est une expression qui désigne le Tathagata, le destructeur de l’ennemi, le parfait et complet Bouddha.

[Dans ce texte], il y a tout d’abord ce passage qui présente la « caractéristique de non-conditionnement du Tathagata » ; viennent ensuite neuf exemples dont le premier est celui du reflet du visage d’Indra sur les quatre faces immaculées d’une pierre de lapis-lazuli. Concernant le sens de ces exemples, il est dit :

Manjushri, le Tathagata destructeur de l’ennemi, le parfait et complet Bouddha, de même ne bouge pas; il est sans volition, n’élabore pas, ne crée pas de pensées et n’imagine pas. Sans conceptions ni discriminations, il n’a pas de «penser», il est dépourvu d’activité mentale. Il est en état de fraîcheur, sans naissance, sans cessation, invisible, inaudible, inodore, et ne peut être goûté ou touché. Sans caractéristiques, il ne peut être connu et n’est pas un objet de connaissance.

Ceci et la suite forment l’explication du terme « sérénité » et montrent qu’en raison de l’apaisement dans ses propres actes de la pensée discursive et de toutes les élaborations, le Tathagata est la spontanéité même. La suite du texte présente des exemples qui montrent que l’ainsité de tous les phénomènes est le moyen d’accès au parfait éveil manifeste, qui n’est pas réalisé par d’autres conditions. Puis, après l’explication des seize aspects de l’éveil d’un Tathagata, [le texte poursuit] :

Manjushri, le Tathagata s’est pleinement éveillé à tous les phénomènes, à la nature telle quelle de tous les phénomènes ! Parce qu’il a vu chez les vivants l’étendue de la réalité, impure, souillée et accompagnée de défauts, il a mis en oeuvre au service des vivants la grande compassion que l’on appelle le « déploiement4La traduction de ce terme pose problème: « brtse ba » (amour, bonté) en tibétain rend le sanskrit « vikrīdita » (sport, jeu) du texte sanskrit. Plus loin la forme tibétaine « rnam par brtse ba » rend le sanskrit correspondant: « vikrīditā vividhā » qui peut être traduit en tib. par « rnam par rol pa » qui signifie jeu, sports ou déploiements divers. Dans l’impossibilité de trancher (même si « amour » pour « brtse ba » convient partiellement dans ce contexte), j’ai opté pour déploiement. (Takasaki traduit -du sanskrit- par mastery, vikrīditā pouvant aussi signifier « jeu d’enfant », d’où l’idée de maîtrise. Dans un même esprit, K. Bruunholzl traduit également du sanskrit par « playful mastery »)».

Ce passage décrit la sagesse primordiale et la compassion du Tathagata ; l’expression « nature telle quelle de tous les phénomènes » signifie précisément « en essence irréels » ;

« pleinement éveillé » signifie « sachant parfaitement au moyen de la sagesse primordiale non conceptuelle du Bouddha que cela est tel quel ».

« Les vivants » est une référence à ceux qui sont « certains », « indécis », et à d’autres « qui tiennent pour vrai ce qui est faux ».

« Étendue de la réalité » signifie « essence de Tathagata indifférenciée de la nature de sa propre réalité5C’est à dire de la réalité du Bouddha: impure, souillée ou «défectueuse», la nature ne change pas.».

« Il a vu » signifie « voyant tous les aspects avec son œil de bohttps://buddhanature.fr/?page_id=263https://buddhanature.fr/?page_id=263uddha libre de voiles ».
Les êtres puérils ordinaires sont « impurs » à cause du voile des perturbations. Les auditeurs et les bouddhas-par-soi sont « souillés » à cause du voile cognitif. Les bodhisattvas sont « accompagnés des défauts » de ce qu’il reste des deux [voiles].

Le « déploiement » est varié car [la grande compassion] s’engage à établir les multiples approches et méthodes d’orientations [des êtres].
Il est « au service des vivants », car pleinement éveillé à l’évidence de leur égalité, son intention est qu’ils parviennent à la réalisation de leur véritable nature.

Après cela, il a mis en œuvre la compassion et la sagesse primordiale insurpassables puis fait tourner la roue de la doctrine sans égale : on connaîtra cette œuvre continuelle et bien menée au moyen de ces deux (sagesse et compassion) comme le pouvoir d’agir pour le bonheur d’autrui.

7. et 8. Ainsi, si l’on envisage dans l’ordre les six qualités du Tathagata, les trois premières – le non-conditionnement et les autres – sont l’excellence du bien propre, et les trois suivantes – la sagesse primordiale et les suivantes – la perfection du bien d’autrui.

Alternativement, on enseigne aussi que le bien propre est accompli par la sagesse primordiale – fondement suprême de la permanence et de la quiétude, qualités résidentes de sa propre plénitude – et que le bien d’autrui est parachevé par la compassion et les pouvoirs, vertus qui entraînent [la mise en mouvement] de la grande roue de la doctrine
insurpassable.

[Le joyau du Dharma]

Puisqu’il provient du joyau du Bouddha, nous avons à présent une stance sur le joyau du dharma.

9.
A ce qui est ni non existant, ni existant, ni existant et non existant, ni autre qu’existant et non existant,
Impossible à analyser, sans définition, connu par l’intuition personnelle, paisible,
Sans taches, rayonnant de la lumière de la sagesse primordiale,
Qui a détruit pour tout objet l’attachement, l’aversion, et la taie [de l’ignorance],
Au soleil du Dharma authentique, je rends hommage.

Qu’est-il montré dans cette stance ?

10.
Inconcevable, non duel, non conceptuel,
Il est pureté, clarté et remède.
Libre de l’attachement dont il délivre,
Caractérisé par deux vérités : tel est le dharma.

Cette stance expose sommairement le joyau du dharma par ses huit qualités. Quelles sont-elles ?

1) L’inconcevabilité

2) L’absence de dualité

3) L’absence de concepts

4) La pureté

5) La parfaite clarté

6) Il est un remède

7) Il est libéré du désir-attachement

8) Il est la cause de la libération du désir-attachement

11.
Le détachement se résume
Aux vérités de la cessation et du chemin6La vérité de la cessation est le détachement, la vérité du chemin est ce qui y conduit..
On saura dans cet ordre
Que chacune possède trois qualités.

De ces six qualités considérées dans cet ordre, les trois premières, l’inconcevabilité, l’absence de dualité et l’absence de concepts, expliquent la vérité de la cessation que l’on connaîtra donc comme la libération du désir-attachement.
La vérité du chemin est décrite par les trois qualités de pureté, de parfaite clarté et de remède, qui résument les causes de la séparation du désir-attachement. Ces deux vérités, celle de la cessation qui est absence de désir-attachement et celle du chemin qui est ce par quoi il y a libération du désir-attachement, lorsqu’elles sont combinées, constituent « le dharma libéré du désir-attachement, caractérisé par les deux vérités de complète purification ».

12.
Échappant à toute analyse, indicible
Connue des [seuls] êtres nobles, [la vérité de la cessation] est inconcevable :
Elle est paix, absence de concepts et de dualité.
[La vérité du chemin] est pureté, [clarté et remède], tel un soleil par ces trois [qualités].

[La vérité de la cessation]

On saura en bref que la vérité de la cessation est inconcevable pour trois raisons. Quelles sont-elles ?

1. Inconcevable, car elle n’est pas du domaine de la logique, même selon les quatre aspects source de non-existence, existence, à la fois existence et non-existence, ni existence ni non-existence simultanées.

2. Inconcevable, car elle ne peut être dite par les sons, la voix, les conversations, les objets du verbe, l’étymologie, les symboles, les désignations, et les expressions.

3. [Inconcevable] car elle relève de l’intuition personnelle des êtres nobles.

Dès lors, comment connaître l’absence de dualité et de concepts de la vérité de la cessation ? Le Victorieux l’a enseignée ainsi [dans l’Enseignement de la non-diminution et non augmentation]:

Shariputra, ce qui est appelé « cessation » est le corps de réalité doté des qualités de l’absence de dualité et de concepts.

Ici, dualité signifie « actes et perturbations ». Les concepts sont « l’activité mentale aberrante, source des actes et des perturbations ». Par l’expérience individuelle de la cessation naturelle selon le mode de l’absence d’engagement discursif et duel, [on réalise] que l’origine de la souffrance n’existe définitivement pas. Telle est la vérité de la cessation de la souffrance et il n’est pas enseigné qu’elle est la destruction de quelque phénomène que ce soit. Il est dit [dans le Soutra de l’ornement de la lumière de sagesse première pénétrant le domaine de tous les bouddhas] :

Ô Manjushri, en l’absence de production et de cessation, l’esprit, le mental et la conscience ne sont pas engagés. Quand l’esprit, le mental, et la conscience ne sont pas engagés, il n’est aucune élaboration de l’activité mentale incorrecte et d’imaginations. 
Le plein engagement dans une activité mentale correcte empêche l’émergence de l’ignorance. Cette absence d’émergence de l’ignorance empêche celle des douze liens de la coproduction conditionnée. Ceux-ci ont été décrits longuement et sont appelés sans-naissance, et ainsi de suite»

De plus, il est dit [dans le Rugissement de lion de la princesse Srimala] :

Ô Victorieux ! La destruction des phénomènes n’est pas la cessation de la souffrance !
Ô Victorieux ! Ce qui est appelé cessation de la souffrance est le corps de réalité sans commencement du Tathagata : incréé, non-né, sans origine, sans extinction, sans terme, permanent, stable, pacifié, indestructible, pur par nature, libéré de toutes les enveloppes des perturbations et indifférencié, il est pourvu des qualités inconcevables du Bouddha, plus nombreuses que les grains de sable du Gange.
Ô Victorieux ! Le corps de réalité de Tathagata, lorsqu’il n’est pas libéré des enveloppes des perturbations, est appelé « essence de Tathagata ».

La présentation de la vérité de la cessation de la souffrance sera considérée dans le détail selon l’enseignement des soutras.