Commentaire de la continuité sublime – page 5

Commentaire de la continuité sublime – page 5

 

[Les quatre antidotes]

36.
En résumé, le fruit
Provient des antidotes
Qui détournent des types de méprises
Relatives au corps de la réalité.

Il est enseigné que les quatre vertus – l’aspiration, etc. – sont les causes de purification de l’élément du Tathagata. Leur fruit se résume à la perfection des quatre sortes de qualités du corps de réalité du Tathagata, ces quatre vertus prises dans l’ordre étant les antidotes respectifs qui s’opposent aux quatre types de méprise.

On appelle « quatre types de méprise » la perception d’existence et de permanence en regard de l’impermanence de la matière, des formes et du reste, la perception d’un soi en l’absence de soi, la perception du bonheur dans ce qui est souffrance, et la perception de la pureté dans les souillures [du samsara]. On devra donc comprendre leurs contraires, les quatre types d’absence d’erreur. Quels sont-ils ?

1. La perception de l’impermanence de la matière, des formes et du reste

2. La perception de la souffrance

3. La perception de l’absence de soi

4. La perception des impuretés [du samsara]

[Ces quatre] s’opposent aux quatre types de méprise. Cependant, si l’on considère le corps de réalité du Tathagata dont les caractéristiques sont la permanence, etc., ces quatre vues correctes sont alors une « méprise ». Pour la contrecarrer, il est établi que les qualités transcendantes du corps de réalité du Tathagata sont la perfection1Souligné par le traducteur: les qualités du corps de réalité ne sont pas la permanence, la félicité, le soi et la pureté, mais leur perfection ! Ainsi on verra plus loin que la perfection du soi est un suprême soi qui correspond à l’apaisement des élaborations du soi et de l’absence de soi. Il s’agit donc d’une absence de contraires plutôt que du paroxysme triomphant de ce qui est désigné (bien que vide) par l’un des deux termes de l’opposition. de la permanence, de la félicité, du soi et de la pureté. On connaîtra ceci dans le détail selon [le Rugissement du lion de la princesse Srimala] :

Ô Bienheureux ! Les vivants se méprennent dans la saisie des cinq agrégats d’appropriation. Ils conçoivent la permanence de ce qui ne l’est pas !
Ils prennent la souffrance pour le bonheur, conçoivent un soi quand il n’y a pas de soi et tiennent pour pur ce qui n’est qu’impuretés !
Ô Bienheureux ! Même les auditeurs et les bouddhas-par-soi, qui ne l’ont pas encore vu au moyen de la sagesse première de la vacuité, se méprennent au sujet du corps de réalité du Tathagata, de la sphère de la sagesse première omnisciente.
Ô Bienheureux ! Ceux qui parmi les vivants perçoivent la permanence, le bonheur, le soi et la pureté du corps de réalité sont les fils nés de l’esprit éveillé du Vainqueur !
Ô Bienheureux, ces vivants ne sont pas dans l’erreur !
Ô Bienheureux, ces vivants ont la vision complète ! Et pourquoi cela ? Parce que, Ô Bienheureux, le corps de réalité du Tathagata est lui-même perfection d’éternité, de félicité, du soi et de pureté.
Ô Bienheureux ! Les êtres qui voient ainsi le corps de réalité du Tathagata voient parfaitement ! Tous ceux qui voient parfaitement sont les fils de l’esprit éveillé du Vainqueur !

On connaîtra les quatre perfections des qualités du corps de réalité du Tathagata dans l’ordre exact et inverse de l’exposé de leurs causes.

1. On verra que l’obtention de la perfection de pureté est le fruit de la pratique d’aspiration aux enseignements du grand véhicule des bodhisattvas, qui s’oppose dans le cas des hédonistes à la jouissance du samsara impur et à l’aversion pour les enseignements du grand véhicule.

2. On verra que l’obtention de l’ultime perfection du soi est le fruit de la pratique de la perfection du discernement, laquelle s’oppose dans le cas des hétérodoxes au ravissement de la saisie d’un soi inexistant et aux vues qui le perçoivent dans l’appropriation des cinq agrégats. Tous les autres hétérodoxes professent le soi de choses telles que la matière, les formes, etc.. qui n’ont pas cette nature2Le tibétain est trés compact, la traduction délicate. Il faut sans doute comprendre que ces choses n’ont pas les caractéristiques d’un soi, ce qui semble confirmé par la phrase suivante.. Puisque ces choses telles qu’ils les concoivent sont faussement dotées des caractéristiques d’un soi, elles sont toujours dépourvues de soi. Quant au Tathagata, il a découvert l’ultime perfection de l’absence de soi de tous les phénomènes par la sagesse première qui voit les choses telles qu’elles sont. Et cette absence de soi telle qu’il l’a vue, véritablement dotée des caractéristiques de l’inexistence d’un soi, est toujours considérée comme un soi. L’absence de soi est vue comme le soi, de même qu’on affirme « demeurer selon le mode de la non-résidence3mi gnas pa’i tshul gyis gnas – L’absence de soi est considérée comme le soi ; le soi est considéré comme l’absence de soi. Comme on dirait de quelqu’un: sa personnalité est de pas en avoir. L’expression se retrouve dans la perfection de sagesse en 8000 : « mi gnas pa’i tshul gyis legs par gnas». Trad. G. Driessens, p.13. »

3. On verra que l’obtention de l’ultime perfection de la félicité mondaine et supramondaine est le fruit de la pratique des absorptions, dont celle du « trésor du ciel », qui s’opposent au seul apaisement de la douleur des adeptes du véhicule des auditeurs, lesquels ont peur des souffrances du cycle.

4. On verra que l’obtention de la perfection de permanence est le fruit de la pratique de la grande compassion des bodhisattvas complètement purifiés, qui œuvrent perpétuellement et sans relâche pour le bien des êtres aussi longtemps que le cycle existe. Cette pratique s’oppose dans le cas des adeptes du véhicule des bouddhas-par-soi à l’indifférence au bien des êtres et aux ravissements de l’isolement.

Ainsi, les fruits de l’entraînement des bodhisattvas à l’aspiration, au discernement, à la méditation et à la grande compassion sont dans l’ordre la pureté, le soi, la félicité et la permanence, à savoir l’accomplissement de la perfection des quatre qualités parfaites du corps de réalité du Tathagata. Puisqu’il est pourvu de ces qualités, il a été dit :

« le Tathagata atteint les limites de l’étendue de la réalité, s’étend aux confins de l’élément espace, jusqu’à la pointe du temps… »

Ainsi, puisqu’il a découvert les limites ultimes de l’étendue de la réalité et l’extrême pureté par la pratique de l’aspiration supérieure aux enseignements ultimes du grand véhicule, le Tathagata est l’accomplissement final de « l’étendue de la réalité ».

Puisque par l’entraînement à la perfection du discernement, il a réalisé l’ultime absence de soi semblable à l’espace des êtres et de l’environnement, et puisque par la pratique de l’absorption du « Trésor de l’espace » et des autres, il a montré l’omnipénétration de la sublime puissance de la réalité, il « s’étend aux confins de l’élément espace ».

Enfin, puisque par l’entraînement à la grande compassion, il est doté de compassion pour tous les êtres, sans limite ni fin dans le temps, le Tathagata perdure « jusqu’à la pointe du temps ».

Ainsi, puisqu’il a découvert les limites ultimes de l’étendue de la réalité et l’extrême pureté par la pratique de l’aspiration supérieure aux enseignements ultimes du grand véhicule, le Tathagata est l’accomplissement final de « l’étendue de la réalité ».

Puisque par l’entraînement à la perfection du discernement, il a réalisé l’ultime absence de soi semblable à l’espace des êtres et de l’environnement, et puisque par la pratique de l’absorption du « Trésor de l’espace » et des autres, il a montré l’omnipénétration de la sublime puissance de la réalité, il « s’étend aux confins de l’élément espace ».

Enfin, puisque par l’entraînement à la grande compassion, il est doté de compassion pour tous les êtres, sans limite ni fin dans le temps, le Tathagata perdure « jusqu’à la pointe du temps ».

[Les obstacles à l’obtention des qualités suprêmes]

Même pour ceux qui résident en l’étendue dépourvue de souillures – les arhats, les bouddhas-par-soi et les bodhisattvas qui ont obtenus les pouvoirs -, il y a quatre obstacles à l’actualisation des quatre qualités au complet du corps de réalité du Tathagata :

1. La caractéristique de conditionnement

2. La caractéristique causale

3. La caractéristique d’apparition

4. La caractéristique de destruction

La caractéristique de conditionnement est la terre des imprégnations de l’ignorance : elle est semblable à l’ignorance provenant des formations karmiques.

La caractéristique causale, ce sont les actes non-souillés conditionnés par la terre des imprégnations de l’ignorance. Elle est semblable aux formations karmiques.

La caractéristique d’apparition est l’accomplissement des trois types de corps de nature mentale qui ont pour cause les actes nonsouillés conditionnés par la terre des imprégnations de l’ignorance. Elle correspond à l’établissement des trois mondes d’existence causés par les actes entachés de souillures conditionnés par les quatre appropriations41) L’appropriation qui est désir; 2) l’appropriation que forment les vues; 3) l’appropration qui consiste à tenir la discipline et l’ascétisme pour suprêmes; 4) l’appropriation que constitue la soutenance d’un soi..

La caractéristique de destruction, ce sont les inconcevables transformations de la transmigration et de la mort, conditionnées par l’établissement des trois types de corps de nature mentale. Elle est semblable à la vieillesse et la mort, conditionnées par la naissance.

Puisqu’ils n’ont pas abandonné la terre des imprégnations de l’ignorance qui sert de support à toutes les perturbations secondaires, les arhats, les bouddhas-par-soi et les bodhisattvas qui ont acquis les pouvoirs possèdent toutes les imprégnations malodorantes de la pollution des passions : ils ne peuvent donc parachever la perfection de pureté.

Puisque subsiste en eux l’activité subtile des élaborations conceptuelles qui ont pour support la terre des imprégnations de l’ignorance, ils n’atteignent pas la perfection du soi inconditionné.

Puisque les agrégats de nature mentale naissent sur la base des actes non souillés – issus de la subtile activité de conception de signes [propres] à la terre des imprégnations de l’ignorance – activité elle-même conditionnée par cette terre des imprégnations, ils n’atteindront pas l’extrême félicité de la cessation.
Tant qu’ils n’actualisent pas l’élément de Tathagata par la cessation de toutes les perturbations des passions, des actes et des naissances sans exception, ils ne sont pas libres de la transmigration de la mort et des transformations inconcevables ; ils ne peuvent donc atteindre la perfection de permanence, d’absence de changement.

Ici, la terre des imprégnations de l’ignorance correspond aux perturbations de toutes les passions.

Les formations karmiques manifestées par des actes non-souillés correspondent aux perturbations des passions issues de tous les actes.

Le complet établissement des trois types de corps mentaux et les inconcevables transformations de la mort et des transmigrations correspondent aux perturbations de la naissance. On connaîtra ceci dans le détail selon les textes. Il est dit [dans le Rugissement de lion de la princesse Shrimala] :

Ô bienheureux, les trois mondes d’existence résultent des actes contaminés qui sont dus à l’appropriation.
Ô Bienheureux, de même, les trois corps de nature mentale des arhats, des bouddhas-par-soi et des bodhisattvas ayant acquis les pouvoirs, résultent des actes contaminés conditionnés par la terre des imprégnations de l’ignorance.
Ô Bienheureux ! La terre des imprégnations de l’ignorance est la condition d’apparition des trois corps de nature mentale de ces trois, et de la manifestation des actes non-souillés.

Puisque les perfections de pureté, du soi, de félicité et de permanence n’existent pas dans les trois corps mentaux des arhats, des bouddhas-par-soi et des bodhisattvas ayant acquis les pouvoirs, [le même texte poursuit] :

Seul le corps de réalité du Tathagata est perfection d’éternité, perfection de félicité, perfection du soi et perfection de pureté.

[Les quatre perfections du corps de réalité]

37.
Pur de sa nature et libre des empreintes,
Il est pureté.
Ayant apaisé les élaborations du soi et de l’absence de soi,
Il est le suprême soi.

38.
Ayant dissipé les agrégats de nature mentale et leurs causes,
Il est béatitude.
Réalisant l’égalité du samsara et du nirvana,
Il est permanent.

La perfection de pureté du corps de réalité du Tathagata sera connue brièvement par deux types de causes :

1) Sa caractéristique générale : la pureté naturelle parfaite.

2) Sa caractéristique spécifique : la pureté parfaite provenant de l’absence de souillures.

La perfection du soi sera également connue à partir de deux causes:

1) Parce qu’il est détaché de l’extrême des hétérodoxes, il est libre des élaborations d’un soi.

2) Parce qu’il est détaché de l’extrême du renoncement des auditeurs, il est libre des élaborations de l’absence de soi.

La perfection de félicité sera également connue à partir de deux causes :

1) Puisque le corps de réalité est abandon de tous les aspects de l’origine de la souffrance, les liens avec les imprégnations sont rompus.

2) Puisqu’il actualise tous les aspects de la fin des souffrances, il réalise la cessation des trois corps de nature mentale.

La perfection de permanence sera également connue à partir de deux causes :

1) Parce qu’il ne réduit [la réalité] à l’impermanence du cycle, il ne tombe pas dans l’extrême du nihilisme.

2) Parce qu’il n’exagére pas la permanence du nirvana, il ne tombe pas dans l’extrême de l’éternalisme.

Il est dit [dans le Rugissement de lion de la princesse Srimala] :

Ô bienheureux ! Si l’on voit l’existence conditionnée comme « l’impermanence», on adopte une vue nihiliste et ce n’est pas une vue correcte.
Ô bienheureux ! Si l’on voit le nirvana comme « la permanence », on adopte une vue éternaliste, et ce n’est pas une vue correcte.

Cette approche du mode de l’étendue de la réalité indique qu’au sens ultime le samsara lui-même est le nirvana, car la réalisation du nirvana sans demeure est sans discursivité à l’égard des deux. Par conséquent, seule est enseignée, par deux causes, l’obtention de ce lieu non fixé, à la fois proche et lointain de tous les vivants sans distinction.

Quelles sont ces deux causes ?

1) Les bodhisattvas ne sont pas proches de tous les vivants car ils ont éliminé sans exception, au moyen du discernement, toutes les tendances latentes de la soif d’existence.

2) Ils n’en sont pas non plus éloignés car en vertu de leur grande compassion ils ne les abandonnent en rien.

Ceci est la méthode d’obtention5discernement et compassion du parfait et complet éveil qui par nature est sans demeure.
Le bodhisattva qui pour oeuvrer à son propre bien, a abandonné toutes les tendances latentes relatives à la soif d’existence au moyen du discernement, et dont la motivation a pour support le nirvana, ne demeure pas dans le cycle à l’instar de ceux dont la disposition ne permet pas de passer en l’au-delà des peines.

Puisque par compassion, afin d’ouvrer au bien d’autrui, il ne délaisse pas les êtres en souffrance et fait montre d’une activité qui a pour support le samsara, il ne se fixe pas en nirvana à l’instar de ceux dont la disposition ne mène qu’à la seule quiétude.

C’est pourquoi il est enseigné que ces deux qualités [de discernement et de compassion] sont les points fondamentaux de l’éveil insurpassable.

39.
Les compatissants ont tranché sans reste la soif du je par le discernement ;
Mais ils n’atteignent pas la paix car ils ont soif des vivants.
Avec pour méthode d’éveil l’intelligence et la compassion,
Ces êtres nobles ne demeurent ni dans le samsara ni dans le nirvana.

Qu’est-il montré dans la deuxième moitié de la stance énoncée plus haut au sujet de l’activité [de l’élément] ?

[L’activité]

40.
Sans l’élément du Bouddha,
Pas d’insatisfaction liée à la souffrance ;
Pas de désir, d’aspiration et d’effort
Pour l’obtention du nirvana.

C’est pourquoi il a été dit [dans le Rugissement de lion de la princesse Srimala]:

Ô Bienheureux ! S’il n’y avait pas l’essence du Tathagata6où : «s’il n’y avait pas cette pureté fondamentale enfouie sous les souillures mentales de la discursivité, de la saisie de signes, et autres misères samsariques…». Nous disposons tous d’une même référence pure qui nous pousse à sa propre révélation, quel que soit notre niveau d’égarement., il n’y aurait pas d’insatisfaction liée à la souffrance; pas de désir, d’effort, d’aspiration ni de souhait pour le nirvana.

En bref, même chez les êtres assurément établis dans l’erreur, l’élément du Bouddha, la filiation parfaitement pure7Equivalence de « dhatu » et de « gotra », l’élément et la filiation., exerce son activité de deux manières :

1) S’appuyant sur la vision des méfaits de la souffrance du cycle, il provoque l’insatisfaction.

2) S’appuyant sur la vision des bienfaits du bonheur du nirvana, il fait s’élever l’aspiration, le désir, l’effort, et la détermination pour l’au-delà des peines.

Ici, « aspiration » signifie « désir manifeste » ; « désir » signifie «tendre vers l’obtention de l’objet du désir manifeste » ; « effort » signifie « rechercher les moyens d’obtention de l’objet du désir manifeste » et « détermination » signifie « orientation effective de l’esprit vers l’objet du désir manifeste ».

41.
La vue de la souffrance comme un défaut du devenir,
Et du bonheur comme les qualités du nirvana,
Est due à la présence de la filiation [spirituelle]8Tib: rigs.,
En ceux qui en sont dépourvu, cette vision n’est pas.

La vision par les personnes vertueuses des méfaits de la souffrance du samsara et des bienfaits de la félicité du nirvana, provient de la présence de la filiation [spirituelle] : elle n’est pas dépourvue de causes et conditions.

Pourquoi ? Si cette vision était sans causes et sans conditions et ne provenait pas de l’épuisement des fautes, elle apparaîtrait même chez ceux qui sont dans l’erreur de la soif du devenir, dont la disposition ne permet pas le passage en l’au-delà des peines.

Elle ne peut se produire tant que la filiation n’est pas complètement purifiée des souillures adventices et aussi longtemps que n’est pas née l’aspiration aux enseignements de l’un des trois véhicules au moyen d’une connexion correcte avec les quatre cercles : s’appuyer sur un être de grande vertu9Les trois autres sont: l’accumulation de mérites, un lieu de résidence favorable et des voeux et une aspiration appropriés., etc.. C’est pourquoi il est dit ensuite [dans le Soutra de l’Ornement des apparences de la sagesse première qui pénètre les domaines de tous les bouddhas]:

Quand les rayons de la sagesse première du soleil du Tathagata atteignent le corps des vivants – y compris le corps de ceux qui jusque là étaient fermement établis dans l’erreur -, ils sont bénéfiques, produisent les causes de la [félicité] future, et favorisent le développement de vertueuses qualités10« l’activation » de l’élément, c’est à dire l’orientation vers le chemin bouddhiste, procède d’une forme de résonnance: la vibration de la lumière de la sagesse du Tathagata traverse les ténèbres de l’ignorance et entre en résonnance avec elle-même, déjà présente par imprégnation dans le coeur de tous les vivants..

Dans les enseignements du grand véhicule, dans le [Soutra du grand au-delà des peines], la phrase : « ceux qui sont constamment dans l’erreur de la soif d’existence ne passent pas en l’eau delà des peines » fait allusion à une période [limitée dans le temps]11Tib: « dus gzhan » soit littéralement « autre temps ». On suppose ici qu’il s’agit du temps « limité » durant lequel l’erreur de la soif d’existence est présente, avant que soit éliminée l’aversion pour les enseignements du grand véhicule. Ce temps dépend de l’épaisseur des ténèbres propres à chacun.; elle a pour dessein d’éliminer à terme l’aversion pour les enseignements du grand véhicule, laquelle est la cause de l’erreur de la soif d’existence. Puisque la filiation parfaitement pure est présente par nature, il est inapproprié [de dire] que certains ne seront pas totalement purifiés. C’est pourquoi, en considération de l’existence de cette aptitude – pour tous les vivants sans exception – à la complète purification, le Bienheureux a dit :

[L’existence conditionnée]
Même sans début a une fin :
Dotée de qualités permanentes, naturellement pures,
Invisibles car couvertes d’une gangue depuis des temps sans commencement,
Elle est semblable à une statue en or dissimulée.

Sur ce point, nous avons une stance sur le sens de « dotée » :

42.
[L’élément du Bouddha] est en effet semblable à un grand océan,
A une source inépuisable de qualités précieuses et infinies,
A une lampe à beurre par essence dotée
De qualités inséparables.

Qu’est-il montré dans la première moitié de cette stance ?

43.
Puisqu’il embrasse les domaines du corps de réalité,
De la sagesse primordiale du vainqueur et de la compassion,
Il est présenté comme semblable à l’océan :
Récipient, joyaux et eau.

On connaîtra le sens de « doté » – dans la perspective du domaine du Tathagata pourvu de causes – par trois points, semblables respectivement aux trois aspects d’un grand océan. Quels sont ces trois ?

1) La cause de purification du corps de réalité.

2) La cause d’acquisition de la sagesse primordiale du Bouddha.

3) La cause de manifestation de la grande compassion du Tathagata.

La cause de purification du corps de réalité est la pratique de l’aspiration au grand véhicule. La cause d’acquisition de la sagesse première du Bouddha est la pratique des portes du discernement et des absorptions méditatives. La cause de manifestation de la grande compassion du Tathagata est la pratique de grande compassion des bodhisattvas.

La pratique de l’aspiration aux enseignements du grand véhicule évoque un réceptacle car ces derniers rassemblent, innombrables et inépuisables, les joyaux de la connaissance, de la méditation, et les eaux de la compassion.

La pratique des portes du discernement et des absorptions méditatives est comparable à un joyau car elle est dépourvue de concepts et possède d’inconcevables qualités et pouvoirs.

La pratique de la compassion des bodhisattvas est pareille à de l’eau car elle posséde un goût unique naturel, dont la sublime humidité [imprègne] tous les vivants.

Ces trois pratiques, ces trois causes et leur relation sont appelés « la dotation ».

Qu’est-il montré dans la deuxième moitié de la stance ?

43.
Dans le fondement sans taches,
Il est indifférencié des connaissances extraordinaires, de la sagesse
primordiale et de l’ainsité immaculée.
Ses qualités ressemblent à celles d’une lampe à beurre:
Luminosité, chaleur et couleur.

On connaîtra le sens de « dotation » selon les trois aspects du fruit de l’élément du Tathagata, auxquels correspondent respectivement trois sortes de qualités, semblables à celles d’une lampe à beurre. Quels sont ces trois points ?

1) Les connaissances extraordinaires

2) La sagesse primordiale de l’épuisement des contaminations.

3) L’épuisement des contaminations.

Puisqu’elles ont pour caractéristique de vaincre les ténèbres qui s’opposent à l’expérience de la réalité, les cinq connaissances extraordinaires sont semblables à la lumière.

Puisqu’elle a pour caractéristique de brûler dans sa totalité le bois des actes et des passions, la sagesse primordiale de l’épuisement des contaminations est semblable à la chaleur.

Puisqu’il a pour caractéristique d’être immaculé, pur et lumineux, l’épuisement des contaminations – la révélation de la base – est semblable à la couleur. Il est immaculé car le voile des perturbations a été éliminé. Il est totalement pur car le voile cognitif a été dissout. Il est lumineux car sa nature n’est pas celle de ces deux voiles adventices.

En résumé, les [cinq] connaissances extraordinaires de l’épuisement, la sagesse primordiale et l’élimination [des voiles], ces sept qualités, rassemblées dans le continuum de ceux qui n’ont plus rien à apprendre sont mutuellement inséparables au sein de l’étendue immaculée. Pourvues d’elles-mêmes et équivalentes à l’étendue de la réalité indifférenciée, elles sont appelées « la dotation »12Le tibétain n’est pas vraiment limpide: « so so ma yin pa’i chos kyi dbyings dang mnyam pa nyid kyis ldan ba nyid ldan ba ni ldan pa zhes bya’o ».

L’exemple cité pour illustrer ce point, [la lampe à beurre], sera compris en détail d’après les soutras. [Il est dit dans L’enseignement de la non-diminution et non augmentation] :

Shariputra ! Prenons pour exemple une lampe, avec sa lumière, sa chaleur et sa couleur, ou un joyau, pour son brillant, sa couleur et sa forme pure : ils sont dotés de qualités inséparables dont on ne peut les distinguer.

Shariputra ! De même, le corps de réalité enseigné par le Tathagata possède les vertus de la sagesse première, inséparables des qualités indivisibles du Tathagata, plus nombreuses que les grains de sable du Gange.

Puis il y a une stance au sujet de la « manifestation »

[La manifestation]

45.
L’ainsité des êtres ordinaires, des nobles et des parfaits bouddhas
Se manifeste différemment ;
Ceux qui la voient enseignent en [tous] les êtres
[La présence de] l’essence du Vainqueur.

Qu’est-il montré dans cette stance ?

46.
Les êtres ordinaires ont des vues erronées,
[Les êtres nobles] voient au contraire la vérité,
Les tathagatas sont tels quels :
Sans erreur ni élaborations.

Au début des enseignements introduisant à la sagesse première non conceptuelle, dont ceux de la perfection du discernement – la prajnaparamita -, il est expliqué aux bodhisattvas que l’élément de tathagata a pour caractéristique universelle la parfaite pureté de l’ainsité de tous les phénomènes.
On connaîtra trois différents aspects de la manifestation des tathagatas, soit trois types de personnes :

1) Les êtres ordinaires qui ne voient pas la réalité telle quelle.

2) Les nobles qui voient la réalité.

3) Les tathagatas qui ont parachevé la pure vision de la réalité telle quelle.

C’est-à-dire, respectivement, ceux qui ont une vue erronée, une vue correcte et une vue véritablement privée d’erreurs et d’élaborations.
Ici, « erronée » fait référence à l’erreur des êtres puérils, [en termes] de perception, d’esprit et de vues. A l’opposé, la « vue correcte » est celle des nobles qui ont abandonné [l’erreur]. Enfin, la « vue véritablement privée d’erreurs et d’élaborations » est celle des parfaits et complets éveillés qui ont détruit les passions, leurs imprégnations, et le voile cognitif. Après cela, on comprendra la signification de « manifestation» par l’exposé des spécificités des quatre autres aspects [de l’élément]13C’est à dire les quatre aspects de l’élément spirituel développés ensuite dans le traité: les états, l’omnipénétration, l’immuabilité, l’inséparabilité..

Cela commence par une stance qui distingue les états des trois types de personnes.