Présentation du « Coucou de Rigpa »

Présentation du « Coucou de Rigpa »

10 mai 2020 Non Par Tchamé Dawa

Présentation du « Coucou de Rigpa »

par Namkhaï Norbu

1) L’importance du texte (à lire ici)

 

Le Rigpé Koudjouk1རིག་པའི་ཁུ་བྱུག, ou Les Six Vers Vajra, est une synthèse des enseignements du Dzogchen, la Grande perfection. Ces vers ne contiennent que quelques mots et une pratique leur est associée. Parmi les enseignements originaux transmis et présentés par Garab Dorjé2Garab Dordjé est reconnu comme étant le premier maître humain du Dzogchen dans la tradition bouddhiste tibétaine., certains, qui sont en quelque sorte des citations ou des résumés de divers tantra du Dzogchen, tiennent en quelques mots appelés loung3ལུང, certains sont un résumé d’enseignements complets, et les Six Vers Vajra sont un condensé de l’un de ces principaux tantras.

Le Vajra est utilisé pour symboliser ce qu’on appelle l’état primordial. Le Chant du Vajra, par exemple, explique et transmets la connaissance de l’état primordial. De la même manière, les Six Vers Vajra sont une synthèse et une explication de cet état primordial lorsque son sens a été compris. Il représente l’ensemble des enseignements du Dzogchen et la manière de les comprendre est basée sur la pratique et sur la connaissance de chacun. Cependant, il n’aura pas beaucoup de sens si vous le lisez simplement comme des mots. Mais lorsque vous en connaissez le sens avec précision4Ndt : Lorsque vous savez précisément de quoi on parle, alors les mots deviennent la clé de la compréhension et de la mise en pratique des enseignements.

Bien entendu, les Six Vers Vajra ne sont pas une exception et de nombreux textes sont ainsi. Certaines personnes, que l’enseignement intéresse, suivent parfois un maître, pratiquent un peu, apprennent quelques techniques et se satisfont pleinement ainsi. Le résultat est que dans les traditions les plus récentes de l’enseignement, le sens original des textes est d’une certaine manière obscurci, en particulier quand les disciples adoptent une méthode de pratique spéciale enseignée par un maître spécifique. Il est certainement très important de recevoir la transmission de ces méthodes de la part d’un maître, c’est ce qu’on appelle les Upadesa5Les instructions secrètes des enseignements du Dzogchen., mais on ne peut pas suivre la méthode d’un maître sans avoir la moindre base. La base est le principe même de l’enseignement que vous suivez. L’enseignement ne s’apparente pas à la psychologie où chacun a sa méthode favorite et l’applique quand il le souhaite. L’enseignement est lié à l’état primordial. Cette connaissance est au-delà de notre jugement et ne peut pas être inventée par le raisonnement. Si nous restons au niveau du jugement et du raisonnement, alors nous ne pouvons rien trouver qui lui corresponde.

Tout dépend de la « vue » (lta baལྟ་བ), tawa, ou de la « manière de voir ». En général, on utilise ses yeux, dirigés vers l’extérieur, pour voir un objet afin de l’analyser. Dans le Dzogchen, l’approche est différente. Dans le tawa du Dzogchen, il nous faut comprendre la différence qu’il y a entre un miroir et une paire de lunettes. Lorsque nous regardons dans le miroir, celui-ci reflète notre existence et notre condition. Si nous avons une très bonne paires de lunettes ou de jumelles, même si l’on peut voir de très loin et découvrir de très nombreux détails, on regarde toujours vers l’extérieur. Donc, voici le principe : il faut connaître la différence entre regarder vers l’extérieur de manière duelle et s’observer soi-même afin de découvrir sa propre condition. Dans le Dzogchen, lorsque l’on fait référence à la manière de voir ou de pratiquer, le principe est toujours de se découvrir soi-même.

Nous pensons que pratiquer conduit à cette chose que nous appelons la réalisation. Cela signifie que la connaissance de la réalisation a été transmise par quelqu’un qui la détenait, tel que Garab Dorjé, ou des maîtres plus connus, comme Padmasambhava et Vimalamitra. La transmission a perduré de Garab Dorjé jusqu’à nos jours : pas seulement la connaissance, mais également les textes s’y rapportant, tel que les Six Vers Vajra, qui ont été préservés et transmis à travers les âges. Il est possible, bien que vous soyez intéressés par le Dzogchen, que vous n’ayez pas l’opportunité d’étudier les textes originaux qui représentent de soixante à soixante-dix volumes. Il est plus simple, via votre pratique et votre connaissance, de comprendre un texte bref et précis tel que les Six Vers Vajra. C’est pourquoi je vais essayer de vous en donner une explication.

2) Une note historique

 

Le texte des Six Vers Vajra est appelé le Rigpé Koudjouk, ce qui est à mon avis le nom que lui donnait Vairocana6Célèbre traducteur tibétain, yogi accompli, l’un des principaux disciples de Padmasambhava et contemporain du roi Trisong Detsen, qui régna de 755 à 797., car ce n’est pas son titre original. On raconte que lorsque Vairocana, à l’époque de Padmasambhava ou du roi Trisong Détsen, se rendit à Oddyana et rencontra le maitre Shrisimha, il eut les plus grandes difficultés à ramener les textes au Tibet et qu’il dut les dissimuler en les écrivant avec du lait de chèvre sur des bouts de vêtements de coton blanc. Les Six Vers Vajra constituent le premier texte qu’il présenta. Les textes du semdé7Les enseignements de la série de l’esprit représentent de douze à quinze volumes, mais tous ne sont pas des textes originaux. Nombre d’entre-eux furent ajoutés plus tard et seuls quelques-uns comptent parmi ceux qui furent ramenés au Tibet par Vairocana. La raison est simple à deviner : lorsqu’il vous faut recopier les textes avec du lait de chèvre sur des bouts de tissus en coton, comment faites-vous quand il y a douze volumes ? Il y a un autre texte de trente ou quarante pages, également appelé le Rigpé Koudjouk. C’est un tantra du Dzogchen qui aurait été selon de nombreuses personnes, également introduit dès l’origine au Tibet, par Vairocana. Mais la vérité est que la partie fondamentale du Rigpé Koudjouk ne contient que six vers.

Nombreux sont ceux qui affirment que le Dzogchen n’est pas un enseignement authentique, et qu’on y retrouve des éléments du Chan chinois. D’autres disent que le Dzogchen n’est apparu que très récemment. Mais ceux-ci ignorent l’existence d’un très grand nombre de textes Dzogchen. Nous n’avons pas besoin de débattre sur ce point, car le principe des enseignements Dzogchen n’est pas de s’engager dans des débats avec d’autres écoles, son seul point d’intérêt étant la connaissance, mais on doit cependant de nos jours connaître quelques faits historiques.

Tun Huang est situé à la frontière chinoise au nord-est du Tibet, près de l’Amdo. Il y avait là-bas dans les temps reculés, une immense bibliothèque où étaient conservés tous les textes important du temps de Trisong Détsen et de l’époque qui suivit son règne. Pendant des siècles ils restèrent sous les sables amenés par les vents de Xin Jiang et de l’Amdo, jusqu’à ce que le lieu soit redécouvert et visités par des occidentaux. La plupart des documents récupérés furent ramenés en occident et on peut aujourd’hui les trouver à Londres et à Paris. Ils sont devenus les célèbres « écrits de Tuan Huang » et tous les savants considèrent que ces textes sont très importants et authentiques. Le Rigpé Koudjouk, ainsi qu’un commentaire de ce texte, probablement composé par Vairocana, furent également retrouvés parmi ces documents. A présent, plus personne ne peut donc dire que le Dzogchen n’est pas authentique et n’est pas un enseignement ancien.

3) Le sens du titre

Lorsque Vairocana introduisit les Six Vers Vajra au Tibet, il les nomma Rigpé Koudjouk, le cri du coucou de l’état de présence. Le titre complet est (bkra shis pa’i dpal rig pa’i khu byug)8བཀྲ་ཤིས་པའི་དཔལ་རིག་པའི་ཁུ་བྱུག. trashi (bkra shis) signifie de bon augure et pèl (dpal) signifie gloire. Rigpa est l’état de connaissance, la présence de l’état pur de l’intelligence. Koudjouk est le coucou. Au Tibet, le coucou symbolise la nature qui reprend sa respiration après le froid de l’hiver. Lorsque le coucou chante, tout le monde est heureux puisque la glace et la neige commencent enfin à fondre. Le printemps arrive et les plantes commencent à croître. Les pauvres animaux, amaigris, qui ont eut très peu pour se nourrir dans la neige, tels les yaks et les chevaux, savent désormais qu’ils ne vont pas mourir. Les tibétains qui n’ont pas entendu le coucou partent en montagne à sa recherche. Ceci est lié à la psychologie tibétaine, à un point tel qu’il existe même un nom pour désigner ceux qui n’ont pas entendu le coucou depuis longtemps. On les appelle les djaeun (bya ‘on)9བྱ་འོན littéralement « sourd à l’oiseau » – le terme signifie dépressif (ou ayant une faible tension artérielle). car ils ont diverses maladies, parmi lesquelles une faible tension artérielle (dépression). On demande aux personnes se trouvant dans cette situation de se mettre en quête d’un coucou à entendre mais bien évidemment, ce n’est pas le chant du coucou à proprement parler qui remplit l’objectif médical. C’est cette signification symbolique du coucou qui a conduit Vairocana a utiliser le terme dans le titre du texte.

Il n’y avait pas au Tibet d’enseignement particulier de l’Atiyoga -ou du Dzogchen- avant que Vairocana n’introduise le Rigpé Koudjouk. Padmasambhava avait déjà amené et donné quelques enseignements du Dzogchen, mais tous l’avait été dans le contexte de l’Anuyoga. C’est pour introduire le Dzogchen Atiyoga au Tibet que Padmasambhava a envoyé Vairocana en Inde, auprès de ses maîtres Shrisimha et Vimalamitra, afin d’obtenir les enseignements. Le Rigpé Koudjouk est le premier texte Dzogchen a avoir été transmis, introduit et traduit au Tibet. C’est pourquoi il est si important.